aimer son prochain
J'ai ce défaut qui consiste à tirer une phrase ou un passage d'un livre et inviter l'ensemble de mon entourage à le commenter. C'est ce que je vais vous infliger aujourd'hui.
Dans "Le périple de Baldassare" d'Amin Maalouf, le narrateur (un génois d'orient), chrétien, discute de religion avec Maïmoun, un juif. La scène se déroule en 1665 après JC.
"Seulement, lorsque je dis, au cours de l'échange, qu'à mon avis l'un des plus beaux préceptes du christianisme était Aime ton prochain comme toi-même, je remarquais chez Maïmoun un rictus d'hésitation. Comme je l'encourageais, au nom de notre amitié, et aussi au nom de nos doutes communs, à me dire le fond de sa pensée, il m'avoua :
- Cette recommandation paraît, à première vue, irréprochable, et d'ailleurs, avant d'avoir été reprise par Jésus, elle se trouvait déjà, en des termes similaires, au chapitre 19 du Lévitique, verset 18. Néanmoins, elle suscite chez moi certaines réticences...
- Que lui reproches-tu ?
- A voir ce que la plupart des gens font de leur vie, à voir ce qu'ils font de leur intelligence, je n'ai pas envie qu'ils m'aiment comme eux-mêmes.
Je voulais lui répondre mais il leva la main.
- Attends, il y a autre chose de plus inquiétant, à mon sens. On ne pourra jamais empêcher certaines personnes d'interpréter ce précepte avec plus d'arrogance que de générosité : ce qui est bon pour toi est bon pour les autres ; si tu détiens la vérité, tu dois ramener dans le droit chemin les brebis égarées, et par tous les moyens... D'où les baptêmes forcés que mes ancêtres ont du subir à Tolède, jadis. Cette phrase, vois-tu, je l'ai plus souvent entendue dans la bouche des loups que de celle des brebis, alors je m'en méfie, pardonne-moi...
- Tes propos me surprennent... Je ne sais pas encore si je dois te donner raison ou tort, il faut que je réfléchisse... J'ai toujours pensé que cette parole était la plus belle...
- Si tu cherches la plus belle parole de toutes les religions, la plus belle parole qui soit jamais sortie de la bouche d'un homme, ce n'est pas celle-là. C'est une autre, mais c'est également Jésus qui l'a prononcée. Il ne l'a pas reprise des Ecritures, il a juste écouté son coeur.
Laquelle ? J'attendais. Maïmoun arrêta un moment sa monture pour donner à la citation une solennité :
- Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre !"